Nichée au cœur de la forêt de Cluny, la Fontaine des Croix est un lieu de pèlerinage ancien qui attire non seulement les curieux, mais également les passionnés d’histoire. Cette source, également connue sous le nom de source Sainte-Radegonde, est ancrée dans les traditions locales et témoigne d’une époque où la nature et le sacré coexistaient harmonieusement. La Fontaine des Croix tire son nom d’une coutume ancestrale qui consiste à planter des petites croix en coudrier autour de la source. Cette tradition perdure encore aujourd’hui, soulignant l’importance spirituelle de ce lieu. La proximité d’un ermitage dédié à Sainte-Radegonde, une dépendance de l’abbaye de Cluny, a également contribué à l’attribution de ce nom. Bien que cet ermitage ait disparu, son héritage demeure dans la culture locale et dans le cœur des pèlerins.
« Vers Igé, la limite est “aux charmes”, au-dessus de Montmain »
L’ancien chemin de Cluny à Igé partait à l’est du bourg abbatial et montait tout droit sur la colline de Bourcier par le lieu-dit la Gremoule. Il parvenait au col de Montmain (le « mont moyen ») puis redescendait sur le versant est, en direction d’Igé. Au sommet du « mont moyen », le chemin de la Gremoule, croise le « chemin des moines », laissant à l’est le lieu dit « aux charmes ». Le terminus vers Igé était à la croisée de ces deux chemins, tout près d’une chapelle dédiée à Sainte-Radegonde utilisée comme lieu d’ermitage par les moines de Cluny au moins dès le XIIe siècle.
La Légende de Pierre Damien à Cluny
Au cœur du XIIe siècle, Cluny était une véritable citadelle de la spiritualité chrétienne, un bastion où la foi et la discipline monastique régnaient en maître. Pierre Damien, moine et éminent théologien, s’y rendit avec une réputation de piété et de dévotion, mais aussi avec une certaine inquiétude. En effet, un débat de grande envergure s’était instauré : Cluny et ses terres étaient désormais exemptes de toute juridiction épiscopale, relevant directement du Saint-Siège. Ce statut privilégié avait suscité des tensions, notamment avec Drogon, l’évêque local, qui, au départ, avait peine à accepter cette autorité.
Au fil du temps, Drogon, après des discussions animées, finit par se soumettre et se réconcilier avec l’abbé de Cluny. Cependant, l’esprit de Pierre Damien, ancien bénédictin, était quelque peu troublé par la vie monastique à Cluny, qu’il jugeait moins rigoureuse que celle à laquelle il était habitué. Les adoucissements apportés à l’ancienne discipline le laissaient perplexe. Un jour, alors qu’il partageait un moment de convivialité avec saint Hugues, l’abbé de Cluny, celui-ci, avec une malice bienveillante, lui proposa un défi :
« Vénéré Maître, lui dit-il en riant, venez travailler avec nous, vivez notre vie pendant huit jours, et vous vous déciderez ensuite. »
Intrigué et un peu défié, Pierre Damien accepta cette invitation. Au cours de cette semaine, il plongea dans la vie quotidienne des moines, découvrant la force de leur communauté, leur dévotion et leur manière unique de vivre la foi. En partageant leurs rituels, leurs chants et leurs prières, il réalisa que cette douceur était aussi une voie vers la sainteté. À la fin de son séjour, il ne pouvait que constater la grandeur des pratiques de Cluny, et il les approuva hautement, comprenant ainsi que Dieu se plaisait à manifester sa grâce à travers des miracles au sein de cette abbaye.
Un jour, alors qu’il se trouvait au petit ermitage de Montmain, situé dans le bois de Boursier, Pierre Damien fut frappé par un mal étrange. Ses compagnons, inquiets, crurent qu’il était mort. Son corps devint rigide, et dans un moment de profond désespoir, ils commencèrent à le transporter vers l’abbaye. Cependant, alors que le désespoir s’emparait de tous, un miracle se produisit. À la grande stupéfaction des religieux, Pierre Damien, à peine sorti de cet état de mort apparente, se redressa sur la litière.
« Ne craignez rien, » déclara-t-il d’une voix claire, « car le Seigneur a encore des desseins pour moi. »
Tradition et Légende
Les jeunes femmes du village se rendaient à la fontaine, portées par l’espoir de trouver l’amour. Elles pratiquaient un rituel consistant à placer des croix faites de branches dans le lit de la source, en faisant le vœu de se marier dans l’année. Cette tradition, transmise de génération en génération, a imprégné la fontaine d’une aura mystique et attachante.
Bien que la fontaine ne soit pas monumentale, ses dimensions modestes lui confèrent un charme indéniable. La source, alimentée par des eaux pures, s’écoule à travers le chemin. La fontaine est flanquée de croix en bois, rappelant le rituel ancestral.
Malheureusement, le temps et l’abandon ont laissé leur dévolue sur ce site, tout comme le vieux hêtre qui, jadis, se dressait fièrement à ses côtés. L’ermitage qui existait autrefois a également disparu, et avec lui, une part de l’histoire locale. La fontaine, bien que toujours présente, est aujourd’hui menacée par l’oubli.
Une Légende qui Perdure
La légende qui entoure la fontaine des Croix ne se limite pas seulement à son rôle dans les rites amoureux. Elle est également marquée d’une aura de mystère, car on raconte que quiconque s’aventurerait à boire l’eau de cette source risquerait la mort. Ainsi, la fontaine, à la fois miraculeuse et mortelle, détient deux puissants pouvoirs : celui de guérir et celui de condamner. Ce double aspect a contribué à sa renommée, faisant d’elle un lieu aussi redouté que vénéré.
Cette réputation de source à la fois purificatrice et potentiellement fatale a sans doute été renforcée par la présence d’une plante remarquable, la bourdane, qui pousse à proximité. Cet arbuste, dont l’écorce est réputée pour ses propriétés purgatives, pourrait expliquer en partie la peur entourant l’eau de la fontaine. La question demeure : cette terrible réputation a-t-elle été sciemment propagée par une église désireuse d’éradiquer un culte païen qui perdurait dans la région ? L’ambiguïté de la légende incite à réfléchir sur les rapports complexes entre croyances anciennes et dogmes religieux.
Bonne découverte !
Sources : Les lieux de la domination clunisienne (vers 1050-1120), Histoire de Cluny : depuis les origines jusqu'à la ruine de l'abbaye (2e édition, considérablement augmentée) / par le chanoine L. Chaumont,... clunisois.fr ; wikipedia.fr
Quelques photos :
Pour s’y rendre :
Depuis Cluny, prendre la GR76D en direction de la croix Montmain, ou bien, il est possible de se garer à la croix Montmain, et de descendre en direction de Cluny.
A proximité :
- La pierre de l’écorcherie à Igé
- L’abbaye de Cluny
- Taizé, centre œcuménique à vocation mondiale
- Le château de Cormatin
- Arboretum domanial de Pézanin
Sur la carte :